dimanche 3 avril 2011

L'histoire du vénérable.

C'était le neuf avril deux mille huit. Le précédent rempotage du vénérable avait occasionné les mêmes urgences et les mêmes patiences. Il faisait plus froid à l'époque. J'ai gardé les photos de l'époque. Voici le texte de l'époque. Nous n'habitions pas ici. D’abord laisser venir le silence de la nuit. Laisser les bruits disparaître doucement. Pour que le lointain soit la musique. D’abord laisser venir l’obscurité. Quand le jour qui s’éteint fait se fermer les bourgeons, se replier sur eux-mêmes les premières et légères feuilles. Seulement alors, commencer le travail. Se libérer des contraintes vestimentaires pour s’autoriser la sueur. J’enlève le pull, je sais que je vais avoir chaud. Que c’est une explication avec l’érable qui va nous grandir tous les deux mais qui ressemble furieusement à une bataille. Il est déjà ouvert et beau. Grand et fort. Il me fait voir ses belles années. Dix-sept ans que je l’ai acheté - un coup de foudre - à la fleuriste de la rue du Commerce. Il avait à l’époque cinq ans, déjà fier et orgueilleux. Il me plaisait et m’intimidait. Il avait déjà, sans l’envergure, la forme aérée qui est la sienne aujourd’hui. Je me suis inquiétée , stupidement, du changement rapide de couleur de son feuillage. Mais est-ce bien normal que de rouge, il devienne vert ? Rien de plus normal... J’en souris aujourd’hui. Il est devenu d’abord un superbe adolescent et aujourd’hui, il a pris ses mesures superbes. Un homme. ouvert et généreux. j’ai pensé depuis, chaque année, que jamais je ne pourrais voir aussi longtemps son développement, son ardeur, son audace. J’avais pour lui la tendresse qu’on a pour un enfant et l’attention qu’on porte à un adulte qu’on aime. Fils et amant. Il faut le détacher de son pot. Une belle vasque sombre qui, en quelques mois à peine, l’a vu grandir encore, se forger un tronc plus épais et plus chargé d’histoire. Les racines se décollent, s’arrachent un peu. Elles ne se laissent pas prendre au jeu. Elles se défendent. Mais le tronc et la ramures se détachent d’un coup. Apparaît alors la chevelure claire, presque blanche, des racines. Il faut peigner avant de couper, lisser avant de tailler. La terre, par grelots, se détache. Je le soigne. Je le coiffe du dedans. Je coupe la toison intérieure. Les racines. Sa force. Courageux, il ne se plaint pas mais je dois faire vite. Il est à sec. Son nouvel habitacle est plus large et haut encore. Il va devoir y déployer ses marques. Un pot précieux du Japon. Laqué de bleu sur les quatre côtés. Lourd et fort. Prévu pour résister au gel. Oui, bientôt l’arbre passera tout son temps dehors. Finies les retraites hivernales, une vraie immersion dans toutes les saisons. L’arbre, la terre et le pot seront désormais trop lourds pour être transportés. Mon érable. Je vais devoir trouver cet endroit où le soleil viendra le chauffer; le vent, en le traversant, le rafraîchir doucement; la pluie l’arroser sans le noyer; la neige lui donner cette sérénité qui fait les vrais bonsai en hiver. Un endroit protégé des oiseaux et des insectes mais superbement ouvert au plaisir du regard.

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