jeudi 3 mars 2011

Chou du philosophe.


C'est un beau jour ensoleillé. Un de ces jours qui rendent la vie meilleure et pourtant je ne suis pas en grande forme. Je regarde le petit monde des hommes s'affairer autour de moi. En face, on construit un mur qui ne me semble pas judicieux dans sa forme et son volume. A côté, on coupe et on taille sans beaucoup d'envie de régularité. On cloue au dessus. Il y a du bruit partout. Je n'aime pas cette journée où tous les gens autour de moi secouent le monde. Je suis restée hier sur cette recette du chou. Une recette trouvée dans les habitudes de l'époque. Nous étions au début des années quatre-vingt. Il y a trente ans. Le terroir et les traditions locales étaient à l'honneur.
De grands et généreux marchés locaux se tenaient chaque semaine. Je laissais pousser partout dans le carré qu'Elise, la mère de mon beau-frère, nous laissait cultiver, les légumes des saisons. J'ai aimé ces saisons plus que tout. J'ai senti la terre entre mes orteils et mes doigts. J'ai senti la pluie et les vents sur mon dos et ma poitrine. J'ai crains et adoré les sécheresses et les tempêtes. J'ai vu grandir les petits haricots et ramper les cornichons. J'ai parlé aux feuilles et aux fleurs. J'ai vu rougir les tomates. Le Chou du philosophe, que nous avons mangé ce soir, a été coupé en fines lanières. Fondu et fatigué, mélangé aux lardons, il s'est couché sur la viande hachée cuite, posée sur le fond du plat. La pomme de terre écrasée en purée a fait couche entre légume et viande. Le fromage s'est brûlé sous le grill. La recette est celle d'une vieille habitante de Bois-de-Villers, là où le papy passe tous les matins de son chemin vers le travail. Une recette héritée d'une longue tradition familiale. Une recette oubliée si elle ne trouve pas un écho aujourd'hui. Le chou du philosophe est un repas robuste et patient que s'autorisait le vieux médecin généraliste de là, affairé et débordé lorsqu'il rentrait de sa tournée vespérale. Un repas qui pouvait attendre sans perdre de sa saveur. Un repas qui pouvait ne rien perdre de sa vérité au fil des heures. Un repas que le docteur fatigué pouvait avaler au milieu de la soirée, au milieu de la nuit. Le philosophe sait patienter, rempli de sagesse. Le repas sait attendre, rempli de sagesse. Je devine que demain la cuisson aura révélé sa richesse. Que demain, le repas sera encore meilleur. Rempli de sagesse.

Aucun commentaire: