dimanche 21 novembre 2010

La mémoire du goût


L’histoire de la mémoire du goût est inscrite dans celles des hommes et de leur recherche perpétuelle de nourriture. J'ai souvent raconté ici que les pratiques culinaires, je ne dirai pas gastronomiques, de mes parents et plus particulièrement de ma mère dans la cuisine ont construit mon palais. Une histoire de petite fille dans le quartier des Corvées à Gilly, où la mémoire est plus sucrée, liée aux desserts, aux complicités matinales ou post-scolaires avec ma grand-mère. Du chocolat à la crêpe, du pain perdu au riz au lait retrouvé. Les plaisirs gustatifs agréables ont imprégné les mémoires et les hommes s’efforcèrent de renouveler ces plaisirs qui peu à peu s’inscrivirent dans les esprits et c’est ainsi que se transmirent les manières de se nourrir et l’envie d’oser expérimenter de nouvelles saveurs et de nouvelles associations de goût. Les diversités alimentaires liées aux besoins du corps se sont créées de manière différente selon les régions du monde, les régions d'un pays, celles d'un quartier ou d'une rue. A la rue du Nord, dans ma rue d'un quartier populaire, le goût est celui du père. C'est lui qui dicte l'urgence ou la banalité des saveurs. Pas bien exigeant l'homme. Beaucoup de cette sauce grasse quasi quotidienne qui entoure les viandes qui cuisent. Son palais s'accommode de ces graisses qui, jointes aux pommes de terre ou aux légumes, lui donneront le plaisir du goinfre.
La mémoire joue un rôle dans nos préférences alimentaires. Ce que nous ressentons lors de la dégustation d’un aliment est influencé par tout ce que nous avons mémorisé lors de nos rencontres précédentes avec un même aliment ou un aliment semblable. Dans mes bonheurs, les carottes, le pistolet fourré, mélange hardi entre viande et pain. La pain perdu ou la pomme cuite, l'anguille fumée ou la sauret. Dans mes malheurs, la plupart des autres poissons, les moules et les huîtres, les choux blancs, de Bruxelles ou brocoli, les chicons, les poireaux. C‘est là qu’intervient certainement la subjectivité personnelle. Car chaque individu associe la perception physique du goût à une perception psychologique ou émotionnelle : les conditions dans lesquelles on a dégusté un aliment, l’ambiance, la digestion, les interdits, le caractère forcé ou obligatoire, le plaisir éprouvé. Car la mémoire du goût est très résistante à l’oubli. Mais par contre elle peut s’effacer à la suite d’un choc ou d’un accident, ou diminuer et disparaitre avec l’âge, tout comme se diluent parfois l’efficacité des bourgeons du goût. Se souvient-on mieux d’un aliment que nous avons aimé ou détesté ou qui nous semblait mauvais ? Se souvient-on d’un aliment dans sa globalité ou le mémorise t-on en le décomposant selon sa saveur, sa texture, son arôme ? Se souvient-on d'un aliment en fonction du lieu où nous l'avons mangé ou découvert. Ici, sur la hauteur de Celles, J'ai apprécié ou négligé l'aliment grillé et l'autre mijoté. J'ai appris la grillade des viandes roses et la mijotée de toutes les patiences. A Celles, j'ai compris que le temps était un ingrédient de tous les repas. Et il m'a fallu bien du temps pour apprécier ce temps là.

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