dimanche 1 juin 2008

Et maintenant, je fais quoi ?


Le dernier jour de mai. Le dernier jour de quelque chose, qui est (bien-sûr) le premier d’une autre chose. Je glisse doucement, en même temps que trois autres collègues, hors du travail. Je fais mes valises. Je dois penser à autre chose. Je dois laisser mon costume (blanc) de scène dans une armoire. Dans l’autre, au rez-de-chaussée de la clinique, désormais vide, c’est une autre artiste qui va faire sécher son linge de corps. J’ai exercé, pendant tant d’années, un métier qui m’a collé au corps, qui m’a fait prendre les autres à bras le corps. j’ai les mains qui connaissent la chair des autres à défaut d’en connaître le cœur. J’ai des mains qui ont pansé, choyé, caressé, apaisé, recollé, secoué, recousu, reconnu. Qui se sont salies et blessées aux douleurs des autres. Des mains qui n’en sont devenues que plus fortes, plus prévenantes et plus robustes. Je dois y avoir laissé mon cœur dans l’aventure. J’en connais qui me le reprocheront. J’ai exercé pendant tant d’années un métier qui m’a collé à la souffrance, à l’abandon, à la brisure, à la cassure de l’autre. Un métier que parfois, sur la fin, j’ai trouvé injustement regardé et compris. Un de ces métiers qu’on n’ appellera jamais travail, boulot ou job (comme dirait le vieux papy) parce qu’il est une vertu. Un métier que j’ai été fière et heureuse de pratiquer. Plus de trente années avec toi, ma Jacqueline, ma cheffe. Dont je mesure aujourd’hui le bonheur d’une complicité permanente et rude. Trente années avec quelques autres, déjà parties ou en partance. Des filles devenues femmes et mères au long d’une vie laborieuse mais riche, avant d’être aujourd’hui grand-mères. Trente années et plus de tensions et de passions. Trente années qui ont vu l’ordinateur changer nos pratiques et les lits changer de formes et même de roues. Trente années qui ont vu aussi les patients devenir plus douillets et plus exigeants et leur famille plus morcelée et plus exigeante. C’est cela, tout le monde est devenu plus exigeant, pour l’autre seulement.... Sans doute.

Le dernier jour de mai, le dernier jour d’une solidaire et solide relation, les femmes de mon âge sont venues se faire fêter par les cadettes, les juniores, la relève, les filles, les petites... A mi-pente, d’Anseremme vers Freÿr, dans le presque bois et la presque colline, on a mangé et bu avec les membres du service. On a fait semblant de ne pas être triste que ce soit la fin. On a embrassé les enfants et petits enfants invités secrètement pour que la fête ressemble à une passation de forces et de courage. J’ai serré mes petits très fort pour qu’ils sentent que la vie est longue encore et qu’il leur faudra être braves et vaillants. J’ai bu, sans doute plus que de raison, du rosé sec, de la bière de l’abbaye toute proche. j’ai mangé avec plaisir les salades et les viandes grillées. J’ai parlé ici et là, aux unes et aux autres, avec toute la difficulté que cela me procure. Moi, la taiseuse à jamais. La silencieuse encore.
Le dernier jour de mai, j’ai envie de dire merci à celles et ceux qui ont fait mes journées de travail de toute une vie, qui ont du, sans doute, faire que je sois heureuse et fière de mon parcours. J’ai envie de dire merci à Jean-Louis Sherrer qui pendant tant d’années a fait l’eau de toilette que j’ai portée sur la peau, dans le service. Dire merci à celles et ceux qui sont venus apporter leur sourire pour ces moments de séparation. A toi, Isa pour la fête. A ceux que la Baronne a envie de serrer dans ses bras. A tous donc.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un commentaire au jeudi 29

Bis