C'est Elise, la mère de mon beau-frère Constant, aujourd'hui en bagarre avec sa vie, qui nous propose le lopin de terre. Je veux dire un sacré morceau de potager. Le papy , que je n'appelais pas le papy à l'époque, doit juste retourner la terre. Par grosses ou légères pelletées. Le potager est devenu, pour le reste, mon affaire. Situé dans le virage trente mètres au dessus de la maison d'Emptinal, il jouxte un poulailler bruyant et le jardin arboré des Huart. Adrien, l'agronome de l'état, fraîchement rentré des colonies, ne manque pas de se moquer de mon enthousiasme et de mon entêtement à faire pousser ce qu'on trouve bien moins cher dans les commerces tout proches.Il n'aura jamais raison ni de mon enthousiasme à semer, aligner, planter, repiquer, butter, arracher, récolter tous les légumes indigènes. Les pommes de terre pour une surface assez généreuse mais les semis de jeunes salades , de jeunes carottes. Les choux et les poireaux, les haricots, les mâches et les bettes. Je déambule entre les plantations et les semis sur de larges planches. Je suis en sabots. J'arrose quand il le faut et je praline les blancs de poireaux, je dresse les palissades pour faciliter l'ascension des haricots ou des tomates. Je m'inquiète quand la pluie est trop drue ou trop légère. Je crains les vents et les soleils trop rudes. Je blanchis les endives et les scaroles. Je cueille, je ramasse, je récolte, je recommence encore , dix fois, les mêmes gestes. Je connais tout des lunes et des saisons. Des voisinages de légumes vertueux ou vicieux. Je lutte contre limaces et rates, taupes et mildiou.
Je suis bien dans ce bout de terre. Je cuis, fait fondre, mélange, goûte tous les légumes en fonction de leur maturité. Je congèle ou stérilise. Je partage aussi avec les voisins une récolte trop importante ou précieuse. J'ai aimé ce bout de terrain qui brûlait sous tous les soleils du jour. Je m'asseyais parfois, le cul dans la terre, contente de l'évolution des récoltes. J'ai vécu là d'immenses instants de bonheur entre racines et fleurs, feuilles et fruits. D'immenses instants de bonheur. J'avais trois ans au dessus de vingt. Caro dormait dans le couffin.
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